Et se trouve autant de différence
de nous à nous-mêmes que de nous à autrui
Montaigne
à l’amicale mémoire de Jean Laplanche (1924-2012)
qui a rendu son tranchant à la théorie freudienne
Les images ont la vie dure. Si le culte «impérial» a vécu, il y a peu la caricature représentait encore le fou, entonnoir en tête, la main dans le gilet, dans une posture toute napoléonienne. De même pour la psychanalyse. Elle est passée de mode, mais le psychiatre des bandes dessinées officie encore derrière le divan, caressant sur ses genoux un petit carnet. Or, un psychiatre n'est pas un psychanalyste (sauf s'il s'est formé à cet effet) et il y a longtemps que la psychiatrie a été phagocytée par le DSM : un classement managérial des «troubles mentaux» qui permet de beaucoup prescrire sans trop penser. Néanmoins, l'insistance du divan freudien, tout autant que celle du fou campé en Bonaparte, doit bien signifier quelque chose. Il est un fait que Freud continue à insister, voire même à obséder ses pires détracteurs . Comment faire la part des choses et - s'il le mérite - ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain?
Neurosciences et philosophie
Sigismund - Schlomo - Freud (mais dès 1878, il se fait appeler Sigmund) est né à Freiberg en Moravie en 1856, et décédé à Londres en 1939, ayant échappé de justesse aux nazis. Il a passé la plus grande partie de sa vie à Vienne. Issu d'une famille aussi modeste que nombreuse, il a fait sa bar mitzvah mais rompu assez vite avec la religion. Peu favorable au sionisme, il est resté très attaché à la culture juive. Il affectionnait particulièrement les blagues en yiddish, du genre: «— Oh! Moïsche, tu as pris un bain?! — Non, pourquoi? Il en manque un?». À défaut d'avoir pu réaliser un recueil de blagues juives, il a forgé la théorie la plus simple et la mieux étayée du plaisir - toujours transgressif - causé par le mot d'esprit (Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, 1905). Brillant élève, il a pensé un temps au droit mais s'est dirigé vers la médecine. À cette époque, l'humanisme et la philosophie étaient encore à l'ordre du jour dans les études médicales. Mais Freud ne s'en contente pas : il suit des cours supplémentaires. Il s'enthousiasme particulièrement pour ceux de Franz Brentano (1838-1917) : père de la phénoménologie et de la notion d'intentionnalité, celui-ci se promène philosophiquement avec lui un dimanche. Séduit, Freud craint néanmoins de devenir théiste. Il pense un instant à étudier de concert médecine et philosophie. Rationaliste, il se méfie des spéculations métaphysiques. Il reste par contre imprégné par le pragmatisme de penseurs comme Hobbes, Bentham (le principe du plus grand plaisir) et John Stuart Mill. De ce dernier, il traduit quelques textes mais s’avoue effaré quand Mill se fait l'avocat du droit de vote et d'accès au travail des femmes. On n'est pas novateur en tout. On peut même révolutionner la pensée en demeurant l'otage du machisme le plus basique... Fasciné par le côté sulfureux d'une théorie taillée comme sur mesure pour le surréalisme, André Breton s'approcha en tremblant du temple viennois de l'Inconscient (Berggasse, 19, Wien). À sa stupeur, le tenancier lui apparut comme un petit bourgeois peu amène et ne s'intéressant nullement à l'art contemporain.
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