Quand Madame De Block «répare» la santé mentale

Lors d’une récente entrevue, la Ministre de la Santé a expliqué sa croissante impopularité par le fait qu’elle était «connue». Sur ce point, on ne peut lui donner tort : on critique rarement des inconnus. On peut se demander, par contre, si Madame De Block est suffisamment connue ? Il semble que non. On se rappelle ensor400bien sûr celle qui ironise sur le covid-19. On se souvient de celle qui entend fermer les maternités peu rentables. Mais rien d’étonnant. La ministre appartient à une famille politique (VLD) pour laquelle rentabilité financière et liberté d’entreprendre l’emportent sur toute autre considération. Vu sous cet angle, un hôpital n’est qu’«une entreprise comme une autre» et le Service Public un moindre mal : s’il tempère misère et désordre, il constitue surtout un obstacle à la libre concurrence et une menace budgétaire.

Mais pourquoi s’attaquer à la Santé Mentale ? Certes, le VLD reste le bastion d’un corporatisme médical excellant à confondre champ de la santé et médecine — et les soins en Santé Mentale adorent brouiller les pistes. Certes, la ministre a déjà fait part de son aversion pour les psychologues. Certes, elle estime que tout généraliste peut exercer la psychologie clinique sans y être formé (le Conseil d’État ne l’a pas suivie). Certes, elle se méfie des psychiatres (leur présence n’est pas requise dans le Conseil Supérieur des Professions de la Santé Mentale). Certes, elle raie les psychomotriciens de la liste des praticiens de la santé (les kinés suffisent). Certes, elle supprime le métier de psychothérapeute (au profit de l’acte technique «psychothérapie»). N’empêche que Maggie De Block est aussi Ministre des Affaires Sociales. À ce titre, l’équation santé mentale-santé sociale devrait lui parler. D’autant plus que, pour moins de 5% du budget de la santé, le travail en santé mentale excelle en matière de prévention et génère de substantielles économies : tant du côté des maladies somatiques (comorbidités sans nombre associées au stress et à la dépression) que des perturbations de l’équilibre collectif (burnout, accidents du travail, toxicomanies, etc.).

À ce niveau, parler de «maladies» mentales est d’ailleurs un abus de langage : il s’agit d’une analogie réductrice pour désigner un tissu complexe de souffrances individuelles et collectives, nullement réductibles à des dysfonctionnements somatiques. Qu’on pense, par exemple, à l’anorexie. Ou à la dépression : principal facteur d’invalidité au monde (OMS), elle ne relève que superficiellement d’un déficit en sérotonine. Corrélée en premier avec la solitude, en second avec le chômage, elle résulte tout autant de la créativité lucrative de l’industrie pharmaceutique. Mais si la dépression ordinaire peut se voir soulagée par des régulateurs de la sérotonine (ISRS), ceux-ci ne fonctionnent pas mieux que des placebos (Kirsch, 2008) — c’est à dire qu’une configuration symbolique, contextuelle et relationnelle relevant du champ conceptuel de la psychothérapie plutôt que de la médecine des organes.

Inutile d’aller plus loin pour saisir que les professions de la santé mentale ne peuvent, sans mutilation, se couler dans le managérisme techno-médical dominant. Si la psychothérapie et la chirurgie sauvent l’une et l’autre des vies, leur exercice relève de systèmes d’organisation, de formation et d’évaluation différents. Tout particulièrement en matière de secret professionnel et de maturation extra-universitaire des futurs praticiens. Mais de ceci la ministre se moque comme de colin-tampon. Malveillante, elle traite de pleurnicheurs le personnel soignant, de drama queen un médecin lanceur d’alerte. Méprisante, elle ne répond pas plus au courrier des associations qu’aux questions de la Commission Santé. Désinvolte, elle se moque de la loi sur la transparence administrative et n’a que faire de la collégialité ministérielle. Incompétente, elle confie la santé mentale à un anthropologue qui l’assistait à l’Asile et à la Migration, et à un interniste gantois qui n’en n’a cure. Elle pratique de surcroît, sans sourciller, le mensonge, la tricherie, la manipulation. Exemples sur demande.

Rendus ici, on pourrait se demander pourquoi tirer sur une ambulance ? La réponse est simple : pour l’empêcher de foncer sur la foule. La ministre, en effet, mène une guerre sans merci contre la spécificité des professions de la santé mentale, et plus encore contre l’identité et l’autonomie des psychologues. Ce qui échappe au techno-médical l’insupporte. Qu’elle profite de l’aveuglement de quelques collègues en quête de pouvoir, et du désarroi identitaire et pécuniaire de jeunes psychologues, ne change rien à l’affaire. Depuis 1993, la loi subordonne le port du titre de «psychologue» à l’obtention d’un Master et à l’inscription à la Commission des Psychologues. Or, celle-ci dépend du Ministère des Classes Moyennes (compétent en matière de professions) qui l’a dotée d’un Conseil Disciplinaire et d’un Code de Déontologie, valant pour tous les praticiens. La Commission est ainsi la seule à protéger l’identité, la spécificité et l’autonomie de l’ensemble des psychologues. Un projet d’Arrêté, qui devait améliorer son fonctionnement, s’est donc vu saboté par les affidés de Madame De Block. En dépit de la loi et sans égard pour son confrère des Classes Moyennes, elle est partie en guerre contre la Commission. Dans le déni des conditions mises par le législateur au port du titre, elle n’hésite pas à déclarer que le visa paramédical décerné par son ministère suffit pour s’appeler «psychologue», et que les Commissions Médicales Provinciales pourvoiront au reste. Or, ces dernières (qui jugent de l’aptitude à exercer) n’ont aucune compétence déontologique — même pour les médecins. Mais ce mépris de la loi n’est pas nouveau chez Maggie De Block. En 2014, la loi Onkelinx sur la psychologie clinique, la psychothérapie et les professions de la santé mentale, est votée sous les applaudissements (sic) par tous les partis, Vlaams Belang et N-VA exceptés. Il s’agit de l’aboutissement d’un long travail de concertation. Par malchance, nous sommes en fin de législature : les arrêtés d’exécution dépendront donc du prochain gouvernement. À peine en poste, la nouvelle ministre déclare que la loi est «malade» et qu’il faut la «réparer» (sic). Une image qui en dit long.

Rétroactes. Fondée en 1986, l’Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique (APPPsy) est l’une des trois fédérations professionnelles de psychologues agréées. C’est la seule à n’être composée que de psychologues cliniciens psychothérapeutes. Au nom de l’autonomie de la psychologie clinique et de la spécificité des professions de la santé mentale, elle fait échouer, en 2001, un projet de loi paramédicalisant déposé par la ministre Aelvoet. Il s’ensuit un dialogue de quinze ans avec les ministres Demotte et Onkelinx, ainsi qu’avec la plupart des associations concernées. Non corporatiste, l’APPPsy s’efforce de faire reconnaître la spécificité du champ de la santé mentale. Dans cet élan, elle propose la création d’un Conseil Supérieur de la Santé Mentale où devraient se voir représentés les acteurs du terrain réel : psychologues, médecins généralistes, psychothérapeutes, psychiatres, pédagogues, éducateurs, infirmiers, travailleurs sociaux, criminologues, etc. À cet organe devrait s’adjoindre un Conseil de la Psychothérapie chargé de la qualité des formations. La loi Onkelinx valide cette perspective.

En 2016, Maggie De Block annonce solennellement aux psychologues qu’ils font désormais partie des «professions de la santé». En réalité, il y a plus de quarante ans qu’ils y sont — via leur appartenance, par exemple, au cadre des Services de Santé Mentale. De plus, leur «promotion» coûte cher : consentir à un statut de sous-traitant et de sous-médecin, renoncer à un secret professionnel en accord avec leur pratique, travailler sur ordonnance pour obtenir un semblant d’intervention INAMI (4 séances à 11€ pour «troubles légers» entre 18 et 65 ans, renouvelables une fois sur avis d’un expert). Bref, il s’agit de se soumettre à la techno-médecine managériale des organes, sans même bénéficier de l’autonomie clinique et de la sécurité financière des dentistes. Le Conseil Supérieur, pour sa part, se voit réduit à une instance corporatiste de médecins, psychologues et orthopédagogues. S’il compte quelques professionnels de valeur, sa composition est totalement arbitraire. Chargé de statuer en secret (sic) sur la psychologie clinique et la psychothérapie, il interdit l’accès à l’association à laquelle il doit le jour (APPPsy) — sous prétexte qu’elle n’est composée que de psychologues cliniciens psychothérapeutes (sic). Sa présidente enfin - sortie comme un lapin du chapeau de Madame De Block - est la même qui, à la présidence de la Fédération Belge des Psychologues (BFP), œuvrait déjà en secret, du temps de Magda Aelvoet, à leur paramédicalisation.

Francis Martens, 
Président de l'APPPsy

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