Newsletter 2020/2


Chèr(e)s collègues, chèr(e)s ami(e)s,

le chinois classique se lisait de haut en bas et de droite à gauche. La simplification contemporaine de la langue (1956) le fait lire à présent comme chez nous. Ci-dessus, l’association de deux idéogrammes - Wei (danger) et Ji (opportunité) - qui correspond à la notion de «crise». De façon stylisée, le premier idéogramme représente un homme au bord d’une falaise …
On associe souvent en chinois cette représentation à la notion de «chance». Le danger peut nous obliger à opérer un salutaire revirement. L’ajout d’un troisième idéogramme vient sceller ce sens : une chance nous est offerte de ne pas tomber de la falaise. Qui plus est, l’étymologie rencontre ici la sagesse des temps à l’improbable confluent du Fleuve Jaune 黃河 et du grec ancien. «Crise» en effet vient du terme krisis – jugement –issu du verbe krino : séparer, trier, décider, trancher. À la faveur du danger, surgit l’opportunité de discerner, décider, trancher, là où il faut. Politiquement et personnellement.


Travailler par téléphone ?
La situation que nous vivons peut faire flamber chez nos patient(e)s des vécus d’intrusion, d’emprise, d’abandon — de par ce même confinement qui nous empêche de les recevoir. Dans ce sillage, beaucoup de questions ont surgi sur les raisons de continuer ou pas notre activité clinique ? Et si oui de quelle façon? Comment, par exemple, s’assurer de la confidentialité d’une conversation par smartphone ? Ou, côté honoraires, comment tenir compte d’une perte brutale de revenus chez celles et ceux les plus directement impactés ?
Je vous livre, ci-dessous, non pas une «directive» mais un témoignage brut de décoffrage.J’ai travaillé, depuis le lundi 16 mars, par téléphone, avec les patient(e)s qui le souhaitaient.
Pour certain(e)s, j’ai réduit mes honoraires de moitié. J’avais préalablement envoyé un courriel à toutes et à tous pour leur faire part de cette possibilité. Les séances ont eu lieu aux heures de consultation et avec la durée habituelles, depuis mon bureau — ceci pour la première fois de ma vie professionnelle, et avec un préjugé plutôt défavorable : on connaît la force du «surmoi psychanalytique» ...
Mais en fait, cela s’est très bien passé. Quelques personnes ont décliné l’offre. Quelqu’un m’a dit avoir besoin d’un support visuel et nous avons procédé par Skype : c’était très proche d’une séance normale en face à face. Je crois que les patient(e)s qui ont un temps de thérapie derrière eux reconstituent le cadre et l’expérience du contact avec leur thérapeute assez facilement. Il en irait tout autrement, j’imagine, d’une première consultation.
Le fait qu’ils soient chez eux et nous chez nous nous oblige à métacommuniquer sur le cadre et à en repréciser l’essentiel. De même, des choses d’apparence purement pratiques peuvent avoir des résonances bien au-delà. Par exemple, si nous prenons l’initiative de téléphoner à l’heure convenue pour la séance, le téléphone peut voir décupler son côté en soi intrusif — vu l’irruption de l’espace psychanalytique dans l’espace privé : celui qui offre protection et permet
de nécessaires «résistances». Laisser chacun(e) nous appeler permet d’éventuellement oublier de le faire.
Certain(e)s parlent comme d’habitude. Avec d’autres, la fonction de soutien de l’énonciation doit se faire plus active. Nous voilà donc obligés d’innover chacun(e) avec son style, et de ne pas oublier que toute psychanalyse ou psychothérapie psychanalytique est d’abord une psychothérapie de soutien de l’énonciation. Le côté «déliaison» - strictement «analytique» – d’une cure psychanalytique, précisait Jean Laplanche, n’est jamais qu’une très petite partie –
même si la plus significative- d’un cheminement psychothérapique consacré surtout à la liaison et à la production de sens.
L’effacement du regard que permet le téléphone n’est pas loin en réalité du dispositif divan/fauteuil. Mais il peut s’avérer de prime abord surprenant : C’est bizarre, me disait au premier essai, une analysante, c’est un peu comme si je parlais à un ami. Autre occasion de préciser le cadre.
Ce qui nous est imposé par la force des choses peut nous rendre, nos patient(e)s et nous, plus créatifs. Nous rappeler que le «cadre» indispensable au bon déroulement d’un travail psychique est d’abord en nous-mêmes — fruit de notre propre cheminement psychanalytique.
Beaucoup de variantes sont possibles, l’inconscient et le transfert ne manquant jamais à l’appel. Il faut par contre se munir de bons écouteurs.

Francis Martens

Président de l’APPPsy

 

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