2 février 2002

Comment être fou dans les règles ? Goed gek, goed geregeld...

à propos du DSM-IV
 
La fragilisation du lien social, l'effritement des solidarités, l'éclatement des repères symboliques, laissent nombre de citoyens désemparés. De nouvelles formes de souffrances psychiques - dont la moindre n'est pas le déni de la dite souffrance par crainte de perdre son emploi - font leur apparition. Côté politique, la santé mentale est de plus en plus un enjeu collectif. Côté psychiatrique, les vieilles balises nosographiques ne suffisent plus à orienter la clinique, et c'est tout le champ qui demande à être repensé. dsm5e400Pourtant, il règne sur la psychiatrie contemporaine, «au nom de la Science» comme ailleurs «au nom de l'Islam», un nouvel obscurantisme en forme d'interdit de penser. 
 
 
Depuis l'an 1952, le Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux, mieux connu sous le petit nom de «DSM», ne cesse de croître sans embellir. Pourtant, son volume et son emprise croissante sur la nosographie mondiale semblent être inversement proportionnels à son épaisseur conceptuelle — si du moins cet adjectif peut encore être employé. Au début, le DSM - dont l'ambition était de favoriser entre praticiens la cohérence et la fiabilité diagnostiques - s'inscrivait encore dans les schémas psychopathologiques de son temps: tout praticien pouvait peu ou prou y retrouver ses poussins. Mais, en 1980, une équipe de psychiatres-chercheurs universitaires de haut vol, mandatée par l'Association Psychiatrique Américaine (APA) et entraînée par le docteur Robert L. Spitzer (commandant de la «Task Force on Nomenclature and Statistics» de l'APA), crée un véritable séisme en publiant le DSM III qui fait table rase d'un passé malaisément quantifiable, au profit de signes tellement faciles à encoder que même de bons cliniciens devraient pouvoir y arriver. «Du passé faisons table rase»… Comme aimait à le rappeler Mao, «la révolution n'est pas un dîner de gala». C'est ainsi que passent à la trappe, non seulement toute approche psychodynamique, mais la notion même de névrose et a fortiori d'hystérie (qui faisaient encore, en 1968, les délices du DSM II). En contrepartie, au fil des subséquents DSM, d'autres «troubles» montent en force. Par exemple, ceux du sommeil qui permettent au psychiatre hospitalier - bardé d'électrodes et de graphiques - de regarder enfin droit dans les yeux ses collègues d'autres spécialités. Avec le DSM IV, le projet se radicalise. L'hystérie, après avoir été larguée en tant qu'entité nosographique, disparaît totalement du lexique repris en fin de volume. La classification diagnostique psychiatrique peut désormais se présenter à ses consoeurs comme n'importe quelle nosographie de bonne compagnie. 
 
À cet égard, la préface des traducteurs en français du Mini DSM-IV (1996) est sans ambiguïté: «il n'y a pas (affirme le DSM-IV) de distinction fondamentale à établir entre troubles mentaux et affections médicales générales» — il s'agit de créer «une véritable nosographie psychiatrique» en rapatriant les psychiatres au sein d'un modèle classiquement et exclusivement médical. En affirmant ceci, les préfaciers laissent entendre qu'avant la mise en chantier du DSM (d'après 1968) il n'existait aucune nosographie psychiatrique digne de ce nom. Il s'agit d'un procédé ancien, d'une efficacité redoutable, où celui qui veut noyer son chien commence par l'accuser de la rage, sans préciser néanmoins par quoi il va remplacer le chien. Tentons d'examiner sommairement ce qui reste dans la niche. Les concepteurs du DSM III entament, à leurs dires, une croisade pour la fiabilité du diagnostic psychiatrique. Si l'on veut entreprendre la moindre recherche, la moindre statistique dans la discipline, il importe de pouvoir comparer des éléments qui soient réellement comparables. Il s'agit, autrement dit, que 100 psychiatres confrontés à un même schizophrène puissent émettre sans hésiter le même diagnostic de schizophrénie. Il faut, pour ce faire, suspendre toute spéculation étiologique et décider de n'appeler schizophrénie qu'un «trouble» (disorder, en anglais) présentant un nombre donné de signes objectifs faisant consensus parmi les praticiens. Assez souvent, le DSM propose 8 signes cliniques (persistant depuis au moins 6 mois): si le patient arrive au score de 4 pour un trouble donné, il a droit au code d'identification numérique de ce trouble. Il recourt aussi à une classification «multiaxiale» (troubles mentaux, physiques, de la personnalité, du développement; facteurs de stress; niveau d'adaptation) sensée affiner le pronostic. Mais en réalité, et bien que ce fut son principal argument de vente, le DSM s'est avéré de peu d'utilité pour la recherche. Outre le flou de nombre de ses critères supposément objectifs, il est difficile d'employer à des fins statistiques un système de classification générale des troubles mentaux qui change  sa donne 4 fois en 20 ans (1980-2000).

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